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Livraison en 10 minutes : le quick commerce va-t-il réussir à s’imposer ?

 25 nov. 2021

Crédits photo : Mikhail Tyrsyna - Unsplash

Les acteurs du quick commerce se multiplient en France, avec une promesse commune : livrer les consommateurs en 10 ou 15 minutes à partir de « dark stores » implantés au cœur des grandes villes. Contrairement aux apparences, le plus grand défi n’est pas de livrer toujours plus vite…

Cajoo, Flink, Gorillas, Dija, Getir, YangoDeli… En quelques mois, ces nouveaux noms sont apparus dans le paysage français et sont en concurrence frontale pour s’imposer sur le marché naissant du « quick commerce ». On regroupe sous ce nom les activités de distribution assorties de la promesse d'une livraison effectuée dans un délai très court, de 10 à 15 minutes – un marché que Kantar évalue à environ 500 millions d’euros dans l’hexagone (2021). Face à la petite taille de ce marché, les levées de fonds spectaculaires réalisées par les acteurs en présence témoignent de l’engouement des investisseurs :

  • 950 millions de dollars en septembre 2021 pour la startup allemande Gorillas dont c’était la troisième levée de fonds ;
  • 52 millions de dollars en mars 2021, suivis de 240 millions en juin pour Flink, également allemande ;
  • 40 millions d’euros pour le Français Cajoo en juillet 2021, seulement 7 mois après sa création et une première levée de 6 millions ;
  • 550 millions de dollars en juin 2021 pour la startup turque Getir, valorisée à plus de 7,5 milliards de dollars…

Pourquoi un tel déferlement d’argent ?

Tout d’abord, parce qu’il y a énormément d’argent disponible sur le marché mondial des capitaux. En quête de débouchés, les investisseurs parient à la fois sur l’évolution des comportements des consommateurs et sur la capacité des startups du quick commerce à capter, à terme, une part significative des courses du quotidien – un marché de l’ordre de 150 milliards d’euros en France. Ensuite, parce que, s’ils savent que la rentabilité peut être longue à venir, les investisseurs savent aussi que dans ce monde du e-commerce élargi, le gagnant rafle tout. Or pour gagner, il faut beaucoup de « cash », un cash « brûlé » en un temps record parce qu’il faut simultanément « évangéliser le marché » et s’implanter dans le maximum de villes le plus rapidement possible afin de prendre les concurrents de vitesse et de les disqualifier.

Tous les observateurs sont d’accord pour dire que, sur les 8 principaux acteurs présents fin 2021 sur le marché français du quick commerce, il n’en restera probablement que 3 ou 4 dans les 12 ou 18 mois à venir. Comme cela s’est passé pour la livraison de repas à domicile et, auparavant, pour les services de VTC, il faut donc s’attendre à des disparitions pures et simples, mais aussi à des consolidations et, plus spécifiquement en France compte tenu de leur puissance, à des rachats ou des prises de participation par les grandes enseignes de distribution. L’opportunité pour ces dernières est double :

  • devenir l’approvisionneur majoritaire, sinon exclusif, du quick commerçant et minimiser ainsi la perte de chiffre d’affaires que peut représenter le développement du quick commerce pour les magasins de proximité de leur enseigne ;
  • intégrer la livraison express dans leur offre de services en capitalisant sur le savoir-faire et la base de clients du quick commerçant, et en utilisant potentiellement les magasins de proximité de l’enseigne comme substitut ou complément des dark stores, ces mini-entrepôts urbains où sont préparées les commandes.

C’est clairement le sens de l’entrée de Casino au capital de Gorillas France, et de celle de Carrefour au capital de Cajoo.

Un modèle micro-local très exigeant

Les quick commerçants proposent tous une application permettant au consommateur de commander des produits du quotidien et de se faire livrer leur panier sous 10 à 15 minutes par un coursier à vélo, sur une large plage horaire (de 7h ou 7h30 à minuit ou 2h du matin). Ils se caractérisent également par des assortiments limités à un petit nombre de produits, avec un optimum qui semble devoir s’établir autour de 2 500 références, couvrant l’alimentaire, l’hygiène, l’entretien de la maison et les petites fournitures (piles, ampoules, chargeurs de téléphone…).

On comprend que le défi du modèle n’est pas tant le développement d’une application mobile conviviale et efficace que la localisation des dark stores, leur dimensionnement et la construction d’un assortiment pertinent. En effet :

  • la localisation des dark stores conditionne la capacité du quick commerçant à tenir la promesse d’une livraison en 10 ou 15 minutes, sachant qu’un coursier à vélo peut difficilement réaliser plus de 4 livraisons par heure, même dans un périmètre restreint regroupant une forte densité de clients. La moyenne se situe plutôt entre 2,5 et 3. Les choix d’implantation sont donc éminemment stratégiques et constituent un bel exercice de géomarketing mobilisant les techniques de segmentation territoriale et d’optimisation fondée, pour chaque implantation, sur l’analyse de potentiel de chaque zone d’influence/de chalandise. Henri Capoul, cofondateur de Cajoo, estime que « le modèle marche lorsqu’on a une concentration de 100 000 habitants dans un rayon de 2 kilomètres autour du dark store ». Cela signifie en outre que le modèle n’est viable qu’en environnement urbain dense et que les stratégies d’implantations sont pensées à l’échelle du quartier et non de la ville. En d’autres termes, il faut plusieurs dark stores pour mailler efficacement le territoire d’une capitale comme Paris ou Berlin, avec les coûts élevés qu’impliquent ces multiples implantations dans des métropoles où le marché immobilier est tendu.
  • La taille des dark stores détermine la taille des stocks, le nombre de références proposées et le nombre de commandes pouvant y être préparées. Vous ne pouvez pas héberger 2 000 références et le nombre de préparateurs dont vous avez besoin pour servir un marché potentiel de 25 000 ou 30 000 foyers dans un local de 80 m². La taille optimale se situerait entre 300 et 500 m². Un entrepôt de cette taille serait rentable au bout d’un an dès lors qu’il exécute 500 commandes par jour – un objectif qui est loin d’être atteint partout aujourd’hui.
  • La composition de l’assortiment est, comme dans tout commerce, un délicat exercice d’équilibrage entre produits incontournables, produits d’appel et vitesse de rotation des stocks dans les différentes catégories, le tout dépendant fortement de la composition sociologique et des habitudes de consommation de la population du quartier. En toute logique, l’assortiment proposé dans chaque quartier devrait être différent, ce qui ne semble pas être le cas pour l’instant. A terme, les acteurs ne cachent pas que les prix pourraient eux aussi varier – d’une ville à l’autre, sinon quartier par quartier. Le recours aux techniques du yield management permettrait de moduler éventuellement le prix des produits, mais surtout celui du service, en fonction de la demande et du nombre de préparateurs et de livreurs disponibles aux différentes heures de la journée.

Dépasser le créneau de la « demande de dépannage »

Sous réserve de maîtriser les trois dimensions que nous venons de décrire, la viabilité du quick commerce reste suspendue à la construction et au développement de la demande. Cela suppose de dépasser le créneau des achats de dépannage qui est, de fait, le point d’entrée commun à tous les acteurs en présence. Oui, il y a indiscutablement une demande dans les grandes métropoles pour se faire livrer en urgence, qui une bouteille de champagne, qui un pack de bières (le produit le plus demandé), qui un chargeur de téléphone ou les épices manquantes pour parfaire une recette.

Le point positif pour les quick commerçants est que, dans ce type de situation, le consommateur se montre beaucoup plus sensible au délai qu’au prix. A cours de champagne ou autre lors d’une soirée entre amis, Il accepte sans rechigner de payer quelques euros de plus pour être livré dans le quart d’heure. Outre le caractère exceptionnel de ce type de commandes, l’inconvénient majeur de ce marché de dépannage est le faible montant du panier moyen, à savoir 20 à 22 euros. Avec une livraison facturée autour de 2 euros, des livreurs dont le salaire horaire chargé est de 17 euros et qui peuvent tout au plus effectuer 4 livraisons par heure, la marge du commerçant est insuffisante pour assurer sa rentabilité.

La priorité des acteurs est donc de tirer le panier moyen vers le haut, autour de 30 euros, soit en mettant en avant davantage de produits « premium », soit en augmentant le nombre d’articles par commande. L’augmentation de la fréquence du recours à leurs services est également une priorité, la progression de la récurrence des achats du volume de commandes garantissant les emplois des préparateurs et livreurs. La stratégie de conquête actuelle – à grands renforts de publicité, de remises et d’offres de bienvenue – vise à installer le « réflexe quick commerce » chez tout ceux qui considèrent avoir bien d’autres choses à faire dans la vie que d’aller faire leurs courses, même au coin de la rue. La sociologie des grandes métropoles est propice à ce modèle. Certains vivront assurément comme une libération de n’avoir plus à penser aux courses du quotidien, puis comme une évidence de pouvoir commander et se faire livrer au coup par coup tout ce dont ils ont besoin. Point intéressant souligné par Henri Capoul (Cajoo) : une fois ce réflexe bien ancré, la contrainte des 10 ou 15 minutes semblerait se desserrer parce que ce qui importe alors au consommateur, c’est moins la brièveté du délai que d’être tenu au courant du moment précis où il va être livré (à condition tout de même de pas trop déraper !)

Nous n’en sommes pas là, en tout cas pas à une échelle suffisante pour assurer la rentabilité du service : aucun acteur n’est rentable aujourd’hui et aucun ne devrait l’être avant 2 ou 3 ans. A ceux qui objectent que le quick commerce ne répond pas à une attente profonde des consommateurs, on rappellera le scepticisme qui entourait le développement de la livraison de repas à domicile il y a quelques années : aujourd’hui, c’est un marché mondial qui dépasse 150 milliards de dollars et qui connaît une croissance annuelle de plus de 6%. Alors pourquoi pas le quick commerce ?

On ajoutera, et c’est tout à leur honneur, que les acteurs du quick commerce ont su tirer les leçons de l’aventure de la restauration livrée à domicile et des VTC au moins sur un point : leurs livreurs ne sont pas « auto-entrepreneurs », mais salariés. Ils bénéficient donc d’une couverture sociale digne de ce nom, et l’entreprise leur fournit le vélo électrique et les autres équipements indispensables, ce qui paraît la moindre des choses. On veut croire que ces conditions d’emploi et de rémunération ne visent pas seulement à attirer les candidats dans une phase de lancement où tous les quick commerçants sont en concurrence sur les recrutements. Sans préjuger de l’avenir et de qui survivra ou non dans la bataille actuelle, on peut au moins se féliciter que les emplois créés par les startups de la livraison express de courses soient de vrais emplois.

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